« Guillemets »
Extraits, Citations — Quotes, Excerpts

Vu chez y la luna ?

Dites-vous bien que la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout.

Breton
7/26/2005 07:58:00 AM

Nous ne nous étions guère vu durant ce temps, mais il m'écrivait fréquemment, plus souvent qu'il ne recevait de réponses. Désormais, c'est moi qui serai plus âgé que lui, toujours plus, et si tant est que je vive assez vieux, il m'apparaîtra alors comme un jeune homme que j'ai connu autrefois.


Là, j'avais eu mauvaise conscience, car je ne lui avais pas téléphoné pour son anniversaire. Les jours précédents, je m'étais maintes fois promis de lui passer un coup de fil, mais je ne l'avais pas fait. Il en avait toujours été ainsi entre nous deux. Adrian se montrait invariablement le plus attentionné et aussi le plus fidèle.


Peut-être n'avait-il jamais remarqué le déséquilibre qui marquait notre échange de marques d'amitiés, une distortion qui m'a si souvent laissé la désagréable impression d'être débiteur.


Je suis toujours assez gauche et mal à l'aise, même si, au fil des ans, j'ai à peu près appris à savoir comment me conduire.

Peu à peu, je me suis fait à l'idée que je ne suis pas le seul dans ce cas, mais cela a pris maintes années pour le découvrir. Nous, les sceptique et les maladroits, ne nous soucions pas de nous faire connaître, et nous nous sentons donc plus solitaires qu'il ne le faut, tandis que nous nous efforçons de mettre un pied devant l'autre, de suivre la conversation, de trouver le mot juste, bref, de donner l'impression que, nous aussi, nous avons le droit d'être traités comme des êtres humaines.


J'essayais bien de prendre part à l'agitation optimiste et pétulante des autres, mais au fond de moi, j'étais seul. Comme ma mère, me suis-je rendu compte. Elle et moi, nous nous trouvions chacun de son côté du temps où l'on mesure la réalité à l'aune effrenée de ses espoirs. Elle n'osait plus en avoir autant, tandis que, moi, je n'avais pas encore d'idée précise de ce que j'espérais. En revanche, la solitude était identique, cette sensation d'être enfermé dans l'éternel ici et maintenant des jours. Comme une tortue dans son aquarium ou un explorateur polaire qui, engoncé dans son anorak de granit, regarde fixement l'océan arctique, même si ce dernier a fondu depuis longtemps.


Il existe une forme de bonheur, un bonheur quotidien souvent dénigré et réellement négligé, où tout ce que l'on est se voit traduit sans déformations en gestes simples et répétés. Et cette simplicité vaut que l'on prépare le repas ensemble, que l'on fasse l'amour ou que l'on se trouve dans la même pièce. Nous aimions les mêmes choses, riions des mêmes choses et nos corps s'habituaient l'un à l'autre jusqu'à ce qu'il ne soit presque plus possible de sentir nos propres caresses, comme si les mains de l'un et de l'autre étaient reliées par les mêmes fibres nerveuses.


Nous n'avions presque pas d'argent mais notre existence avait du style. Je m'en suis rendu compte quelques années plus tard, quand Julie est partie. Elle était trop fière pour emporter quelque chose, et il restait partout des petits exemples de son ingéniosité et de son sens du détail. Si c'était sa façon de me punir, elle n'aurait pu le faire de manière plus raffinée. Elle avait un don phénoménal pour chiner chez les brocanteurs, et les objets les plus négligés et délaissés avaient retrouvé une nouvelle vie après qu'elle les avait ajustés dans l'ensemble soigneusement composé qu'était notre chez-soi. Cela peut paraître superficiel, mais la vie est vécue en surface, et l'amour se dissimule parfois dans les moindres choses.


C'était un de nos hobbies de faire des commentaires sur les gens que nous avions rencontrés une fois rentrés à la maison. Nous étions rarement rosses, mais nous ne pouvions pas nous empêcher de nous gausser des petites scènes que les gens mettent en scène, poussés par le besoin de donner à leur existence une apparence importante et exceptionnelle. Bien entendu, toute existence est importante pour celui qui la vit, mais elle est rarement exceptionnelle.


Je ne l'avais jamais trompée auparavant. De fait, je n'avais jamais eu l'occasion d'être infidèle à quiconque. Cela n'appartenait pas à mon répertoire et je tâtonnais comme un vulgaire amateur. J'avais l'impression qu'une vitre nous séparait, et j'étais seul de mon côté. De l'autre côté, tout avait l'air d'un film, le sourire mystérieux de Julie, l'éclat des tubes fluorescents qui se reflétaient sur les peintures des voitures, l'écho de nos pas sur le béton et le tintement des clefs.


Je cherchais donc refuge dans mes pensées ressassées et familières car je ne savais que faire de moi au milieu des riches silhouettes bruyantes et profondément modernes qui m'entouraient. Leurs rires étaient trop féroces, leurs sourires bien trop étincelants. Elles respiraient tellement la réussite, tandis que je me sentais petit et raté, moi qui aime tant trôner dans le fauteuil patiné de mon arrière-boutique, majestueusement coupé de mon siècle trépidant aux néons criards.

Jens Christian Grøndahl, Bruits du cœur
7/24/2005 11:58:00 AM

Les larmes jaillirent de mes yeux. Quelle indicible beauté ! Pouvais-je malgré tout apprendre des autres ? Lire, voilà ce que je devais faire ! Tout lire !

Harry Mulisch, Le pupille
7/14/2005 07:24:00 AM

Quelle était la situation là-bas à présent ? Je n'avais pas lu les journaux durant tous ces mois d'absence, et encore moins écouté la radio ; mais d'après moi, il n'était pas exclu qu'il y vente et qu'il y pleuve encore. Même la guerre n'avait probablement rien pu y changer.

Harry Mulisch, Le pupille
7/14/2005 07:23:00 AM