— Tu crois qu'il suffit d'accumuler livres, objets, disques ou histoires ? / D'habitude, les gens résolvent ces problèmes en faisant un enfant. Mais peut-être penses-tu posséder le souffle créateur ?
— Je ne pense pas, Myriade. Tout cela vient après, et puis tu connais ma solitude / (…ou peut-être seulement pour la combler de présences qui m'appartiennent.)
Après une longue exploration de la littérature et de la philosophie chinoises, j'arrive à la conclusion que leur plus haut idéal a toujours été un homme détaché de la vie et sagement désenchanté. Cette sagesse engendre une certaine hauteur de caractère qui donne la possibilité à chacun d'avancer dans l'existence avec une ironie tolérante, d'échapper aux tentations de la gloire, de la richesse, des exploits, et finalement, d'accepter les événements. De ce détachement découlent aussi le sens de la liberté, l'amour du vagabondage, de l'orgueil, de la nonchalance. Car seul le sens de la liberté et de l'oisiveté permet d'atteindre la joie de vivre intensément.
Lin YuTang, L'Importance de vivrevia clb
Je relis lentement, lucidement, morceau par morceau, tout ce que j'ai écrit. Et je trouve que cela est nul, et que j'aurais mieux fait de ne jamais l'écrire. Les choses réalisées que ce soit des phrases ou des empires, acquièrent, de ce seul fait, le pire côté des choses réelles, dont nous savons bien qu'elles sont périssables. Ce n'est pas cela cependant, que je ressens et qui m'afflige réellement, c'est que cela ne valait pas la peine de l'écrire, et que de temps perdu à le faire, je ne l'ai gagné que dans l'illusion maintenent évanouie, que cela valait la peine.
Fernando Pessoa / Bernardo Soares, Le Livre de l'intranquilitéUn livre doit remuer des plaies, en provoquer même. Un livre doit être un danger
Cioran, Ébauches de vertigeLa véritable élégance morale consiste dans l'art de déguiser ses victoires en défaites
Cioran, Ébauches de vertigeToute concession qu'on fait s'accompagne d'un amoindrissement intérieur dont on n'a pas conscience sur le coup.
Cioran, Ébauches de vertigeje ne suis pas un douteur, je suis un idolâtre du doute, un douteur en ébullition, un douteur en transe, un fanatique sans credo, un héros de la fluctuation.
Cioran, Ébauches de vertigeAlors qu'on préparait la ciguë, Socrate était en train d'apprendre un air de flûte. "à quoi bon cela te servira-t-il ? lui demande-t-on. — À savoir cet air avant de mourir."
Si j'ose rappeler cette réponse trivialisée par les manuels, c'est parce qu'elle me paraît l'unique justification sérieuse de toute volonté de connaître, qu'elle s'exerce au seuil de la mort ou à n'importe quel autre moment.
Cioran, Ébauches de vertigeJ'essaie de combattre l'intérêt que je prends pour elle, je me figure ses yeux, ses joues, son nez, ses lèvres, en plein putréfaction. Rien n'y fait : l'indéfinissable qu'elle dégage persiste. C'est dans des moments pareils que l'on comprends pourquoi la vie à réussi à se maintenir, en dépit de la Conniassance.
Cioran, Ébauches de vertigeVisite d'un jeune homme qu'une dame m'avait recommandé, en précisant bien qu'il s'agissait d'un "génie". Après m'avoir donné des détails d'un voyage qu'il venait de faire en Afrique, il me parla de ses préoccupations, de ses lectures, de ses projets. Dans tout ce qu'il disait, il y avait quelque chose qui n'allait pas, une fièvre vide, qui me mettait mal à l'aise. Impossible de savoir qui il était et ce qu'il valait. Au bout d'une heure, il se leva, je me levai aussi, il me regarda fixement et, tout à la fois concentré et absent, s'avança dans ma direction lentement, très lentement, comme un escargot halluciné. Je me rappelle avoir fait la remarque : "Ce génie veut m'assassiner", et me reculai d'un pas, avec la ferme résolution de lui appliquer un coup de poing en pline figure s'il continuait à s'approcher. Il s'arrêta, eut un geste nerveux, comme s'il se faisait violence, et que, autre docteur Jeckyll, il résistât à quelque sinistre métamorphose, puis se calma, retourna s'asseoir en s'efforçant de sourire. Je ne lui posai aucune question qui pût le troubler. Nous reprîmes la conversation exactement où elle avait été interrompue, et à mesure qu'il revenait à lui-même, je sentais que son état me gagnait et que maintenant c'était à moi de me lever. Quand heureusement il eut l'idée de s'en aller.
Cioran, Ébauches de vertige